La méthode fait actuellement fortune dans les sciences sociales à l'université. Les soi-disant "méthodologies", parfois de simples exposés du protocole d'enquête, foisonnent dans les cours et les manuels. Comment expliquer ce mouvement, après une période où les théories générales de l'histoire, de la société ou de la politique ont dominé les préoccupations scientifiques ? ©Electre 2025

Adapter l'entretien semi-directif à des sujets devenus savants et stratèges ; contourner par l'image les réticences d'un groupe confessionnel hermétique à la politique ; amorcer un dialogue pacifique avec les membres d'une communauté en guerre de mémoire ; rendre compte des controverses publiques en renonçant aux hypothèses trop contraignantes que la linguistique informatisée fait peser sur les textes ; expliquer le types d'usage de méthode statistique complexe ; tester des méthodes statistiques concurrentes sur un même objet sociologique ; faire parler les savoirs sociaux locaux pour estimer les risques sociaux diffus ; comprendre les réticences des historiens vis-à-vis d'une approche comparative pourtant prometteuse : les motivations des auteurs de ce volume sont très diverses. Il ne s'agit pas ici de produire un classement, ni même un recensement. Nous avons seulement voulu repérer quelques innovations dans l'ordre du comment faire qui méritaient d'être discutées avec autant de soin que le sont d'ordinaire les ambitieuses théories qu'elles ont la tâche d'appuyer.

De cette diversité émerge un petit nombre de facteurs de création ou de renouvellement méthodologiques, comme la mise en commun de compétences intellectuelles ordinairement séparées, des évolutions de l'objet dont les méthodes habituelles ne peuvent rendre compte, la diffusion sociale de méthodes renvoyées en miroir à l'enquêteur à son tour objectivé, la mise en concurrence des méthodes et des outils, etc. Le fait est que ces explications n'apparaissent qu'après coup. En quelque sorte, le travail de rationalisation et de systématisation de la méthode semble toujours venir en retard. La méthode ne s'affine qu'à mesure de ses usages - et de ses mésusages. Les méthodes et les outils, ces appareillages parfois lourds et peu élégants, se trouvent d'ailleurs le plus souvent relégués dans les textes scientifiques en notes ou en annexes, tandis que la discussion conceptuelle et la référence théorique trônent en pleine page.

Pourtant un tel retour sur les méthodes est aussi instructif et nécessaire que les résultats auxquels elles mènent. Avec toutes les réserves connues sur les possibilités de la formalisation en sciences sociales, l'objectif reste de répliquer - sur le même objet, sur d'autres objets. Et la réplication dépend d'un examen attentif de ces appareillages, tel qu'il est proposé ici par des spécialistes de science politique, de sociologie et d'histoire.