Une analyse des processus d'autodéfinition et d'hétéro-définition de la lutte armée grecque contemporaine, principalement concrétisée dans la guérilla urbaine. L'auteure décrypte les faux-semblants des discours publiques depuis le début des années 2000, qui voit le pouvoir exécutif dire le droit, le juste et le nécessaire au nom de la responsabilité de l'Etat démocratique. ©Electre 2025

Explosive Politics Series

L'émergence d'une nouvelle génération de guérilleros urbains en Grèce à partir de 2008 soulève de nombreuses questions quant aux origines et aux objectifs de la lutte armée du 21ème siècle, qui restent encore peu ou guère explorées. Estimant que toute analyse externe du phénomène souffrirait de faiblesses épistémologiques, l'auteur juxtapose deux discours publics, énoncés respectivement en 2010/11 et 2016/17 dans des communiqués de revendication d'attentat et des articles de presse, afin de mettre en lumière les processus d'autodéfinition et d'hétéro-définition de la lutte armée grecque contemporaine.

Tout en cartographiant les principales tendances de l'actuelle lutte armée, l'analyse des stratégies discursives des uns et des autres révèle de multiples contradictions, intrinsèquement liées à la structuration et au fonctionnement du champ politique à l'échelle (inter)nationale, lesquelles finissent par affaiblir aussi bien la dynamique du changement radical poursuivi par les guérilleros que la portée de l'action de l'appareil répressif en matière de protection du système politique en place.

Le livre d'Anastassia Tsoukala repose sur l'acuité de son regard et la logique de son raisonnement qui, implacablement, fait tomber les faux-semblants des discours publics des vingt dernières années. Elle en montre dans une première partie les processus sémantiques et rhétoriques qui font la novlangue du contre-terrorisme global. Prendre des mesures liberticides est justifié au nom de la responsabilité d'un état démocratique qui se doit de protéger et de prévoir. Nous ne sommes plus dans un dilemme sécurité-liberté mais dans un univers où l'exécutif se donne le droit de dire le droit, le juste et le nécessaire. La seconde partie prend le temps de décrire en détail sur plusieurs chapitres le cas de la Grèce en appliquant les mêmes méthodes d'analyse de discours pour les discours de revendication et les communiqués du gouvernement. Son analyse des représentations médiatiques comme tiers actifs construisant la relation terroriste est saisissante et ceci porte d'autant plus que le retour réflexif sur le statut propre du chercheur est toujours présent. Tous les acteurs de cette relation sont disséqués et leurs non-dits analysés. Un livre où chacun, spécialiste ou curieux, trouvera des pages lumineuses, changeant sans aucun doute son point de vue sur la question du terrorisme.
Didier Bigo, Professeur de Sociologie Politique de l'International à Sciences Po Paris