Dans "Coyote", Sylvain Prudhomme nous emmène en un périple singulier le long de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, une région emblématique au cœur des débats sur l'immigration et l'identité. Initialement commandé comme reportage pour le magazine America, ce projet a rapidement pris une tournure personnelle : l'auteur a choisi de parcourir cette zone en auto-stop, une méthode qu'il affectionne pour sa capacité à créer des rencontres authentiques. L'auto-stop devient ici un véritable "confessionnel", un espace privilégié où les conducteurs se livrent, offrant un accès unique à leurs vies et à leurs perceptions de cette frontière complexe.
Le livre met en lumière une mosaïque de voix et de destins. L'auteur s'efface pour laisser la parole aux personnes rencontrées, retranscrivant leurs récits avec une fidélité et une musicalité remarquables. L'enjeu est de faire entendre ces voix, de percevoir leur rythme, leur mélancolie ou leur provocation, permettant au lecteur de se sentir en compagnie de chaque automobiliste. Ce parti pris narratif est renforcé par la présence de portraits photographiques en fin d'ouvrage, invitant chacun à se forger sa propre idée des visages qui se cachent derrière les paroles. Loin du récit de voyage égocentré, "Coyote" est une immersion dans la vie de ceux qui habitent ou traversent cette frontière, offrant une multitude de perspectives sur une réalité rarement dépeinte avec autant de nuances.
La frontière, telle que décrite par Sylvain Prudhomme, est un espace aux mille visages, tantôt simple passage pour les uns, tantôt infranchissable pour les autres. C'est un lieu de projection, un miroir des fantasmes et des peurs de deux nations voisines. Côté américain, la présence constante de la Border Patrol et une surveillance omniprésente créent une tension palpable. Côté mexicain, malgré ses propres défis, la vie déborde d'une vitalité et d'une joie contagieuses, en raison d'une densité de population plus élevée et d'un coût de la vie moindre. Ce contraste saisissant, que l'auteur explore en naviguant constamment d'un côté à l'autre, est l'une des clés de lecture du livre.
Le titre, "Coyote", revêt une double signification. Il fait bien sûr référence aux passeurs qui aident les migrants à traverser la frontière, souvent en les exploitant. Mais il est aussi une métaphore de la posture de l'auteur lui-même : un "coyote" qui, en récoltant les récits de vie de ses "passeurs" d'un instant (les automobilistes), les transforme en matière littéraire. Le coyote, animal vagabond et souvent mal perçu, incarne aussi la figure de l'auto-stoppeur, modeste et dépendant, sur les bords de route. Sylvain Prudhomme signe ici un ouvrage essentiel, qui, par son approche humaine et sensible, invite à une réflexion profonde sur les frontières géographiques, sociales et intérieures.