Etude du tableau de Watteau Le pèlerinage à l'isle de Cythère. ©Electre 2025

Dans le Pèlerinage à l'Isle de Cythère de Watteau, le rapport entre les figures et le fond s'établit latéralement grâce à une perspective par relais. Entre les figurines et le fond, il n'y a rien : pas même un vide ; la profondeur est «soufflée», vidée : effet décoratif qui ramène l'effet d'éloignement à la surface du tableau, qui fait de l'éloignement un effet dû à la proximité des éléments immanents et picturaux. En retour, entre les figurines, dans les espacements de leur mimique, latéralement, il y a un fond dont la caractéristique est d'être un rideau-tapisserie. Mais ce serait trop encore que d'inscrire ces figures comme un plat et simple placage arrêté, non pas une marqueterie aux exacts contours, aux fragments parfaitement délinéés, découpés, plutôt une mosaïque légère et tremblée de pièces colorées délicatement cousues ad intarsio ; petit ruban bigarré flottant, suspendu, dans l'Air du paysage, c'est-à-dire dans la scansion de la touche, dans la ponctuation des feuillages, dans le brossage d'un ciel qui laisse voir sa trame...

Cet espacement par lequel le Ruban est aéré, ajouré, et l'histoire - que l'on attend en vain dans cette succession réitérative du défilé - ajournée, cet espacement est vide. Ces échancrures creusent dans le paysage une vacance qui conduit à voir ce décor comme fond vide ; à sentir cette «nature» comme étant peut-être présente de manière fugitive mais sans «réelle» présence. Pur indice de nature, indication presque conventionnelle d'une nature indéfinie. Et les figures dans leur fiction/façonnement, semblent se trouver, là, par hasard dans ce paysage de rêve : un parc, une île ? un îlot, un coin artificieux de nature. Inhabitée. Elles passaient ou passent par là mais n'y séjournent pas, ne s'y installeront pas, ni ne s'y sont installées. Dans l'ambiguïté du Passé et du Futur, du retour ou de l'aller, par le hasard indiqué est pointé un présent disparu. Non celui auquel cette scène renverrait, une scène passée qui n'a jamais existé, mais celui encore aujourd'hui déposé dans la peinture : le présent du moment pictural. Le présent du donner à voir.