Un coup de coeur de Anthony G.
Avec son éloge du carburateur, Matthew Crawford apporte un début de réponse à ces questions pour le moins engagé et saisissant. Selon lui, le travail intellectuel est tout autant – sinon plus – aliénant que le travail manuel. En séparant le faire et le penser, le travailleur intellectuel se retrouve dans la position du simple maillon faisant partie d'une grande chaîne de production. La finalité matérielle et objective de son travail cérébral lui échappe complètement ; ce qui provoque une grande déresponsabilisation en même temps qu'une perte de sens. Pendant que le cerveau travaille et que les doigts tapent sur un clavier, le monde physique se dérobe peu à peu aux yeux du travailleur. Ainsi vont les fameux bullshits jobs identifiés par l'anthropologue David Graeber il y a quelques années. De plus, cette économie du savoir a pour effet – plus ou moins paradoxal – de dissimuler les artefacts et les rouages des machines qui font notre monde et ainsi de rendre abstrait le capitalisme ; ce qui peut avoir tendance à créer des attitudes passives et dépendantes chez le citoyen.
Pour contrarier cette façon relativement subordonnée d'habiter le monde, Matthew Crawford encourage donc la réappropriation du travail manuel. Que ce soit par l’artisanat, par le bricolage ou par la pratique d’un instrument de musique ou d’un sport impliquant des objets, l’activité manuelle permet la confrontation au réel. En posant les mains sur la matière et en mettant le nez dans les moteurs, le monde redevient palpable et l’individu un être situé, responsable et autonome. Tout en dévoilant la mécanique des choses, l’auteur rappelle aussi les bénéfices psychiques du travail manuel ; celui-ci sollicitant concentration et exigences cognitives.
En faisant l’éloge du carburateur, Matthew Crawford livre donc un ouvrage à la croisée du récit autobiographique et de la réflexion philosophique qui remet en question le sens et la valeur du travail avec humour et acuité. Un livre marquant qui, tout en révélant la corrélation entre économie du savoir et société de consommation, aura entraîné dans sa roue nombre de réflexions et de tentatives de réhabilitation de l’artisanat.
« Le savoir-faire artisanal suppose qu'on approuve à faire une chose vraiment bien, alors que l'idéal de la nouvelle économie repose sur l'aptitude à apprendre constamment de nouvelles choses : ce qui est célébré, ce sont les potentialités plutôt que les réalisations concrètes. »