Un coup de coeur de Mollat
Victor est arrêté par une patrouille allemande et quelques semaines plus tard, après avoir agité en vain tout son carnet d'adresses et mobilisé tous ses appuis potentiels, le voilà entassé avec tant d'autres dans un convoi qui roule vers l'Est.
Terminus Terezin ! Dans le train, les rumeurs ont couru sur cet endroit où l'on réserverait "un sort spécial" à des juifs "importants". Est-ce une ville, gérée par et pour les juifs comme il l'a entendu dire, est-ce un camp de travail ? A sa grande surprise, Victor y est convoqué par un officier SS francophile auquel il semble devoir son affectation dans ce camp de Tchécoslovaquie. Cet admirateur aussi improbable qu'enthousiaste lui fait aussitôt part d'un projet auquel il tient particulièrement : voir se monter à Terezin une pièce hommage au siècle de Louis XIV ! Victor Steiner en serait l'auteur et aurait carte blanche quant à la façon de rendre hommage au roi Soleil. En échange de son travail, lui et l'équipe qu'il aurait choisie pour mener à bien le projet échapperaient aux corvées qui font l'ordinaire des prisonniers, verraient leurs rations augmenter et seraient certains d'échapper aux fameuses "listes de transport", celles qui conduisent plus à l'Est, vers la Pologne... Après avoir tergiversé, Victor se plie à l'injonction et commence à travailler à une pièce qui devra être jouée à Prague, devant les émissaires de la Croix-rouge.
Remarquable roman que ce Lever de rideau sur Terezin ! S'il s'agit bien sûr d'un roman historique (et des plus inspirés) sur le célèbre camp de Terezin, Christophe Lambert propose aussi une passionnante réflexion sur le rôle et le travail d'un artiste dans son rapport au pouvoir et dans son cheminement créatif. Comment écrire sous la contrainte ? Comment faire jaillir "une idée-locomotive", de celles qui vont mettre un projet littéraire en route ? Comment garder sa liberté en travaillant à partir d'une contrainte ? Dans une mise en abyme vertigineuse, Christophe Lambert écrit, sous la pression de l'attente de ses lecteurs, l'histoire d' un auteur qui écrit sur ordre une pièce autour d'un auteur (Molière) aux ordres de son souverain (Louis XIV) et nous embarque dans une réflexion digne du Misery de Stephen King. Mais s'il est beaucoup question de création dans ce roman, jamais Christophe Lambert n'oublie le sort des prisonniers du camp de Terezin où l'on tue pour une phrase, où la barbarie est à l'oeuvre, où l'humanité peut révéler ce qu'elle a de plus beau ou de plus sordide ou bas. C'est un très grand roman que nous donne à lire Christophe Lambert, un roman diablement intelligent qui questionne, enseigne, bouleverse et crée des personnages fictifs formidablement vrais et justes tout en les mêlant au souffle de la grande Histoire. Un roman dont nous n'avons pas fini de parler !