C. de Montalembert (1810-1870) a fréquenté les célébrités que l'Europe comptait dans les domaines politique, philosophique, littéraire, artistique ou religieux. Dans ce journal, tout le siècle revit par les récits de ses voyages, de son action politique en France et par les portraits des personnalités rencontrées. ©Electre 2025

Le Second Empire, en plein essor, vit ses années fastes: l'Exposition universelle, la visite officielle de la reine Victoria, le Congrès de Paris qui termine brillamment la guerre de Crimée, la naissance et le baptême du Prince impérial. Aucun succès ne manque, ni la gloire militaire, ni les bénédictions de l'Église, ni l'essor économique, ni l'assentiment de tout un peuple béat - ce que Montalembert appelle la démocratie. Sans concession, et de France même - il n'a pas de goût pour l'exil que lui conseillent ses amis - Montalembert dénonce la véritable nature de ce régime: un despotisme qui concentre les destinées de tous entre les mains d'un seul homme, souverain parjure, hypocrite et menteur. Et cela d'une façon d'autant plus saisissante qu'il est lui-même une cible de choix pour les dispositions qui bâillonnent les Assemblées délibérantes, l'Académie française, la presse, ou surveillent les correspondances privées. Attaqué à deux reprises par le système dont il s'était rendu complice lors du coup d'État, il écarte toute compromission - «Je suis de ceux qui croient encore au droit et n'acceptent pas de grâce», déclare-t-il - et il a le bonheur d'être justifié «sur le point le plus sombre et le plus équivoque» de sa carrière publique. Avec la même clairvoyance implacable et désespérée, il constate que les catholiques aussi, clergé et épiscopat compris, ont perdu le sentiment du droit et de la liberté, et qu'une nouvelle «alliance du trône et de l'autel» est née, dont l'organe est l'Univers. Préoccupé de maintenir une opposition légale, il se bat sur les terrains et avec les armes qui lui restent, par la parole au Corps législatif, par la plume dans le Correspondant. On découvre, avec quelque surprise, que calomnié et attaqué comme il l'était en son temps, il n'en attirait pas moins la considération de la Maison d'Orléans, des souverains étrangers - la reine Victoria, le jeune roi de Portugal, le roi de Bavière, Maximilien II - même des hommes d'État qu'il n'avait pas ménagés, comme Palmerston et Cavour, ou encore, lui catholique, l'amitié du protestant Guizot.