Un coup de coeur de Véronique M.
“Marie, c’était la grande, la solaire, celle qui va en ville, qui va au lycée. Donc celle qui ne prend plus le car. Celle qui s’envole. Parce que l’envol n’est pas donné à tout le monde par ici.
Elles n’ont partagé que quelques années le même car, le même arrêt. Comme si la Basse Motte et la Haute Motte proposaient une trêve aux gamins, juste le temps de l’enfance”
Or Marie, fille de pharmacien qui appartenait à la Haute Motte, était une adolescente dévergondée qui portait plutôt le sobriquet de “Marie couche-toi là” plutôt que le prénom de la Madone, précise l’autrice.
Dans ce premier roman dont la présence des “saules” du titre ponctuent la narration, soulignant la frontière à la fois vacillante et mélancolique entre les habitants (les notables ne se mélangent pas aux agriculteurs), Mathilde Beaussault met remarquablement en scène deux mondes aux antipodes, dont ce meurtre vient réveiller et révéler l’incommunicabilité.
Alors que Marguerite ne parle presque pas, mais voit et comprend tout malgré ce que pensent les habitants de ce hameau perdu (elle fait penser aux enfants dans les romans d’Hervé Le Corre ou encore aux jeunes héroïnes chez Franck Bouysse), ce sont les dépositions à la gendarmerie des parents, petits amis, voisins, entourage que nous fait entendre tour à tour la primo-romancière, comme si tous formaient le choeur de cette tragédie. Ces voix multiples charrient, en contrepoint des chapitres focalisés sur l’attendrissante petite Marguerite (“on dirait qu’elle campe dans une enfance échevelée pour l'éternité”), la solitude, les haines ancestrales, vouées au labeur et au malheur. Des existences étriquées dont Marie ne voulait pas, et qui lui ont tragiquement coûté la vie “parce qu’elle incarnait ce que bon nombre de gens détestent ici. Un besoin de liberté farouche exprimée de manière maladive.”