Un coup de coeur de Lucie
Bienvenue Mister Chance de Jerzy Kosinski, publié initialement en 1970, revient dans une nouvelle traduction signée Sarah Londin et conserve toute sa pertinence et son mordant. Adapté au cinéma en 1979 par Hal Ashby avec Peter Sellers dans le rôle principal, ce roman culte résonne aujourd’hui avec une actualité troublante, explorant la tyrannie de l’image et la déréliction du langage.
À travers le personnage énigmatique de Chance, jardinier simple d'esprit propulsé par un concours de circonstances au sommet de l'élite financière, politique puis médiatique, Kosinski livre une critique acérée de la société moderne. Chance, qui n'a jamais quitté la maison où il vivait reclus, n'a pour toute culture que les émissions de télévision qu'il regarde inlassablement. Ses paroles, d'une simplicité désarmante, sont interprétées comme des métaphores profondes par ceux qui l'entourent, révélant l'avidité d'une élite en quête de sens, même là où il n'y en a pas.
Dictature de l'image, où l'apparence prime sur le contenu, et où le langage devient un outil de déformation du réel : Kosinski anticipe avec une clairvoyance saisissante les dérives de nos sociétés hyperconnectées, où la communication se réduit souvent à des slogans creux voire, aujourd'hui, des mèmes viraux.
Si Bienvenue Mister Chance se présente comme une farce ou fable sociale, il s'en dégage tout de même un parfum de mélancolie. Le personnage de Chance, figure à la fois innocente et ambiguë, contraste assez violemment avec l'opportunisme et le cynisme des personnages qui gravitent autour de lui. Jusqu'à la dernière ligne, cet étrange équilibre est maintenu, et le lecteur, lui, retient son souffle.
Un roman plus complexe qu'on ne le pense, à redécouvrir urgemment.