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Comment pouvions-nous savoir que le cœur des hommes céderait à la débauche et que le Ciel désapprouverait cette surabondance ? ». Cette interrogation quelque peu ironique est celle de Chen Qide, paysan éduqué de richesse moyenne, dont les mémoires (modestement et joliment intitulés
Simples mots) serviront de point de départ à l'essai historique de Timothy Brook. Étudiant avec minutie les fluctuations économiques de la Chine du XIIIème au XVIIème siècle et se faisant, au sens littéral du terme, historien des prix, l'auteur du
Chapeau de Vermeer dresse avec brio le parallèle entre crises économiques et changements climatiques. Si le prix du grain est le baromètre de la prospérité agricole et donc de la survie humaine, les désordres du ciel ont un effet indirect mais indéniable sur la qualité et la quantité des récoltes. Là où la plupart des historiens des Ming expliquaient l'effondrement de l'empire par ses fautes ou errements politiques, par ses guerres intestinales ou par les invasions extérieures subies, Timothy Brook renouvelle donc l'historiographie de la Chine en reléguant ces divers soubresauts au rang des effets et en faisant du climat une cause primaire et majeure. «
Peut-être d'autres dirigeants ou d'autres administrations auraient-ils trouvé le moyen d'atténuer la crise, mais il s'agit là d'un scénario contrefactuel plus ou moins gratuit alors que le grain ne pouvait plus pousser dans les champs. »
Du reste, Chen Qide et les autres témoins servant de sources au récit étaient pleinement conscients de tout ce qui pouvait lier le ciel à la terre, dans un sens comme dans l'autre. «
La pluie venait du Ciel ; si la pluie ne tombait pas, c'était parce que le Ciel décidait de ne pas l'envoyer, à titre d'avertissement ou de châtiment. ». Les Chinois de la dynastie des Ming, sous l'influence confucéenne, ne résistaient pas à la culpabilisation et expliquaient les catastrophes naturelles par les mauvais comportements humains. Dans l'hypothèse où l'Histoire ne serait qu'un éternel recommencement, il apparaît difficile de ne pas tenter l'analogie entre l'effondrement de la Chine des Ming et les diverses crises que nous traversons aujourd'hui. Si l'interprétation cosmologique, morale et religieuse du chaos climatique de jadis a laissé place à une interprétation rationnelle, écologique et scientifique, il n'en demeure pas moins que les conclusions se rejoignent sur un point : ce sont les actions humaines qui produisent des conséquences néfastes sur l'environnement et mettent en péril l'équilibre économique, la paix sociale, et in fine, la survie de l'espèce.
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Quand une économie dépend des rayons solaires comme source d'énergie, on ne peut que reconnaître dans le climat l'élément déterminant de la viabilité de la société ou de l'État. »