Un coup de coeur de Vincent D.
La première chose qui surprend dans le travail d'Akihiko Okamura, c'est la richesse de sa palette de couleurs : les rouges profonds, les bleus délavés et les bruns ocres qui réaniment une époque turbulente si longtemps dépeinte uniquement en monochrome austère. La seconde est son style, qui tend vers l'observation tranquille plutôt que vers le reportage frénétique. Nous avons affaire à une nouvelle méthode de documentation du conflit qui se résumerait à des moments poétiques et éthérés de paix en temps de guerre.
Le photographe va rompre avec la tradition du photojournalisme, créant une série de natures mortes et d'abstractions. Leur palette douce et feutrée fonctionne en contrepoint de la situation violente dans laquelle elles ont été produites ; elles sont remarquablement en décalage avec les représentations photographiques conventionnelles, en noir et blanc, "héroïques", qui ont fini par définir cette période. Loin des photos habituelles montrant des voitures en feu, des visages en sang, Okamura capture des moments plus calmes, intimes et quasi-surréalistes qui révèlent son intérêt empathique pour les communautés qu'il a photographiées. Ce choix narratif intuitif est intimement lié à la profondeur de son attachement à l'Irlande et au peuple irlandais. La poésie qui émane de son travail n'est pas typique du photojournalisme où le sujet doit être central et évident. Ici, la violence passe à l'arrière-plan.
On sent le photographe attiré par les conséquences : des fleurs sur un trottoir taché de sang sous un drapeau noir flottant, deux jeunes filles endimanchées, portant des sacs à main, debout à côté d'un sanctuaire élaboré en l'honneur de l'un des premiers civils tués par des soldats britanniques dans une rue morne de Derry. Pour tous ceux qui ont vécu cette époque, ces photographies sont obsédantes par leur dureté et leur suggestion. Elles évoquent l'innocence perdue et préfigurent les temps plus sombres à venir.